Ange Le Bruchec : au-delà de l’Artiste, l’Homme
« L’artiste est
la main qui par l’usage de telle ou telle touche met l’âme humaine en vibration »
Wassily Kandinsky
L’artiste, je l’ai rencontré pour
la première fois au vernissage de l’exposition annuelle de son atelier « Côté
Mer ». Les élèves y présentaient leur travail de l’année sur un thème
donné et selon des formats imposés.
Comme de tous les arts la
peinture est le domaine qui m’est le plus étranger, le plus inconnu et le plus
hermétique, c’est en parfaite béotienne que j’ai parcouru l’exposition et observé
les différentes œuvres. Malgré leur diversité, elles revêtaient souvent un « air
de famille », comme une « marque de fabrique », laissant
transparaître l’influence du maître dont j’avais pu remarquer la signature sur
quelques-unes des toiles, et j’ai hâtivement conclu à une certaine autorité de
la part du professeur.
Si quelques tableaux m’ont attirée
et ont fait naître un certain questionnement, voire une émotion fugace, d’autres
ne présentaient à mon regard inculte aucun intérêt. Devant Ange Le Bruchec
soi-même, j’ai osé évaluer un chef d’œuvre universel indiscutable à l’aune de
mon propre ressenti. Crime de lèse-majesté ! L’artiste, Ange Le Bruchec, m’a
alors rappelé qu’avant tout jugement, il convenait de se pencher sur le
contexte historique, d’étudier la ou les techniques employées, d’écouter tout
un lot d’explications plus ou moins cartésiennes… Et j’ai pourtant affirmé haut
et fort que pour moi le seul critère en la matière était l’intensité de l’émotion
provoquée et ressentie, et que personne ne me ferait changer d’avis !
La rencontre aurait pu en rester
là. Mais voilà, chaque année, pendant dix ans, j’ai été invitée au vernissage
de l’exposition « Côté Mer » et au fil du temps, sous l’artiste j’ai
découvert l’homme, un peu de son art à faire vivre son atelier et accompagner
ses élèves, un peu de sa vision du monde, et enfin un peu de sa vie. Quelle aventure
extraordinaire m’attendait !
D’année en année, j’ai constaté
combien le maître a su faire prendre leur envol à ses élèves et en se retirant
sur la pointe des pieds, en s’effaçant pour leur permettre de découvrir et d’affirmer
leur personnalité. Ils se sont ainsi affranchis de son influence pour tracer et
suivre leur propre chemin de liberté et de création. Exposition après
exposition, le visiteur amateur assidu reconnait facilement, d’un simple regard
l’auteur de telle ou telle œuvre. N’est-ce pas là la plus belle des récompenses
pour un artiste : avoir réussi, par son dévouement et son génie, à
transmettre son art en faisant éclore de nouveaux talents insoupçonnés et
parfois ignorés des élèves eux-mêmes ?
Quant à l’homme, je ne l’ai
vraiment découvert qu’à l’occasion de la rétrospective qui lui a été consacrée
à l’espace culturel Passe Ouest à Ploemeur.
Devant un tableau d’Ange Le
Bruchec, l’œil regarde, et voit, l’œil écoute, et entend, l’œil apprécie, et
comprend. Au détour d’une porte, d’une fenêtre, d’un intérieur, d’un arbre, d’un
oiseau, d’un paysage, d’un personnage au visage simplement esquissé, suggéré,
les contours de l’homme se dessinent et se devinent pas à pas. Si selon Oscar
Wilde « tout portrait qu’on peint avec âme est un portrait non du modèle
mais de l’artiste », la peinture d’Ange Le Bruchec en est la parfaite
illustration et trahit son profond désir de discrétion, voire d’anonymat, celui
d’une « particule dans l’infini de la vie », comme il aime à se définir
lui-même. Lui qui pour mieux nous parler a choisi d’utiliser, entre autres, son
don de peintre. Edward Hopper n’affirme-t-il pas « Si vous pouviez le dire
avec des mots, il n’y aurait aucune raison de le peindre ».
Bien au-delà d’une « simple représentation
de la nature et des êtres vivants » selon ses propres termes, sa peinture
est sa vie elle-même, avec ses souffrances enfouies dans le secret des cellules
de son corps, avec ses rêves d’amour et d’absolu, avec sa solitude
consubstantielle, son émerveillent de chaque instant devant la fragilité de la
beauté, et aussi sa sagesse et sa sérénité, nourries de ses voyages, de son
ouverture au monde et aux autres. Comme écrit Monet, une seule obsession « rendre
ce que je ressens ». C’est ainsi que ses toiles, huiles pour l’immense
majorité, selon leurs teintes chaudes ou froides, nous envoient ces mystérieuses
vibrations, ces ondes lumineuses et musicales, qui nous émeuvent parfois jusqu’aux
larmes.
C.S.
VIII 2019
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire