samedi 21 février 2015

Hommage de Jean Tanguy à son ami Ange le Bruchec















Voici que j'ai touché les confins de mon âge.
Tandis que mes désirs sèchent sous le ciel nu,
Le temps passe et m'emporte à l'abyme inconnu,
Comme un grand fleuve noir, où s'engourdit la nage.
Paul - Jean Toulet . Coples L III







Dans un nouvel ouvrage, Ange Le Bruchec, inlassable artisan de la peinture que l'âge ne ralentit pas, nous donne à voir quelques-unes de ses nouvelles créations qui illustrent la pensée et l'état d'esprit d'un octogénaire, au crépuscule du long voyage de la vie, pour tenter à travers son art, de garder sa foi en elle . Les tableaux choisis pour cette plaquette sont comme le kaléidoscope de ses pensées, de ses rêves et de ses désespérances.



Nos vies se déroulent au sein d'une nature, si présente, si mouvante et si chatoyante en ses jeux infinis de lumière, qu'elle est au coeur de l'univers du peintre. Elle reste pourtant mystérieuse et lointaine, en son silence , sa solitude, son altérité. Le peintre en est forcément très proche, car elle est une part essentielle de son chantier. Dans "Au bord du lac" " Bord de l'éternité" "Nuage", "Terre de feu"
d'autres encore, elle est là , vivante et verte, changeante et frémissante, jaillissante et robuste, qu'elle s'offre à lui ou qu'il croise son regard interrogateur avec le sien, comme dans " Regards croisés" .
Il en envie secrètement la permanence, il aimerait s'y fondre ou s'y perdre pour apercevoir ou retrouver en elle des visages aimés "Alchimie" . Il aimerait durer avec elle, miraculeux phénix du printemps. Parfois cependant, un arbre mort "Arbre qui s'offre au regard" "l'acier surgi du ciel" rappelle qu'elle aussi, est soumise à l'inexorable loi du temps et peut ne pas renaître avec le retour de la douce saison.

Dans ce monde du peintre, l'homme est présent bien sûr ! C'est un homme sur lequel pèse la solitude, l'interrogation , l'inquiétude, la méditation du temps mesuré qui passe, c'est un homme pour tout dire, dans l'angoisse d'être: " Palais de la mémoire", "Résonance du passé"," Quête d'éternité" "Au delà".
Cet homme découvre rarement son visage comme dans " L'homme du désert" ou " Femme accroupie" . Parfois, il est tourné vers un ailleurs extérieur - le large de la mer par exemple, "Sensation" ou vers un for intérieur douloureux "Méditation" au bord d'une construction mégalithique précolombienne ou " au-delà" dans la contemplation désolée de son propre reflet dans l'eau.
Le plus souvent, il n'est qu'une frêle silhouette anonyme qui s'éloigne au long d'un interminable chemin de nulle part, pèlerin qui va, sous l'immense ciel lourd d'un plateau, d'une meseta vide et désolée; "Chemin du pèlerin" "Sur le chemin de Saint-Jacques" "Errance" .
Cet itinéraire, qui ne va nulle part, ne serait-il pas, le temps d'une vie qui passe et s'achève un jour, à la "Porte de la Chapelle" où s'esquisse une faux de feu dont on pressentirait le coup fatal?

Alors n'y a t-il pas dans cette vision au moins une espérance, L'espérance,cette "petite fille de rien du tout...cette petite fille pourtant qui traversera les mondes" dont nous parle le poème de Péguy dans "Le porche du mystère de la deuxième vertu".
Elle est peut-être dans la tendresse de ces deux roses dont les boutons qui s'ouvrent se rapprochent ainsi que deux visages d'amants, "Quand fleuriront les fleurs de Septembre" . Ne serait-elle pas, dans l'élan d'un vol de ces deux oiseaux, l'un vers l'autre, "Bonheur dans le ciel" ? ou mieux encore, dans la vie que l'on se transmet et qui continue son cours, de génération en génération, comme cela se passe selon le caprice de Zeus, dans le mythe de Léda , " Léda et le cygne", sous le regard et par la volonté des Dieux. Mais que cette espérance est évanescente (Amour en rêve ) et menacée de disparaître comme dans "Marie" !.
Dans la "Divine Comédie", Dante inscrivait à la porte de son enfer," Voi che entrate qui lasciate ogni speranza", - vous qui entrez ici , quittez toute espérance -.Et pourtant , c'est d'elle dont nous avons besoin , en ce monde d'ici, dans les mondes d'après ou d'ailleurs , peut-être, d' "Elle, portant les autres (vertus) , qui traversera les mondes révolus".


Jean Tanguy.

Février 2015.

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