Tandis
que mes désirs sèchent sous le ciel nu,
Le
temps passe et m'emporte à l'abyme inconnu,
Comme
un grand fleuve noir, où s'engourdit la nage.
Paul
- Jean Toulet . Coples L III
Dans
un nouvel ouvrage, Ange Le Bruchec, inlassable artisan de la
peinture que l'âge ne ralentit pas, nous donne à voir
quelques-unes de ses nouvelles créations qui illustrent la pensée
et l'état d'esprit d'un octogénaire, au crépuscule du long voyage
de la vie, pour tenter à travers son art, de garder sa foi en
elle . Les tableaux choisis pour cette plaquette sont comme le
kaléidoscope de ses pensées, de ses rêves et de ses
désespérances.
Nos
vies se déroulent au sein d'une nature, si présente, si mouvante
et si chatoyante en ses jeux infinis de lumière, qu'elle est au
coeur de l'univers du peintre. Elle reste pourtant mystérieuse et
lointaine, en son silence , sa solitude, son altérité. Le peintre
en est forcément très proche, car elle est une part essentielle de
son chantier. Dans "Au bord du lac" " Bord de
l'éternité" "Nuage", "Terre de feu"
d'autres
encore, elle est là , vivante et verte, changeante et frémissante,
jaillissante et robuste, qu'elle s'offre à lui ou qu'il croise son
regard interrogateur avec le sien, comme dans " Regards croisés"
.
Il
en envie secrètement la permanence, il aimerait s'y fondre ou s'y
perdre pour apercevoir ou retrouver en elle des visages aimés
"Alchimie" . Il aimerait durer avec elle, miraculeux phénix
du printemps. Parfois cependant, un arbre mort "Arbre qui
s'offre au regard" "l'acier surgi du ciel" rappelle
qu'elle aussi, est soumise à l'inexorable loi du temps et peut ne
pas renaître avec le retour de la douce saison.
Dans
ce monde du peintre, l'homme est présent bien sûr ! C'est un homme
sur lequel pèse la solitude, l'interrogation , l'inquiétude, la
méditation du temps mesuré qui passe, c'est un homme pour tout
dire, dans l'angoisse d'être: " Palais de la mémoire",
"Résonance du passé"," Quête d'éternité" "Au
delà".
Cet
homme découvre rarement son visage comme dans " L'homme du
désert" ou " Femme accroupie" . Parfois, il est
tourné vers un ailleurs extérieur - le large de la mer par
exemple, "Sensation" ou vers un for intérieur douloureux
"Méditation" au bord d'une construction mégalithique
précolombienne ou " au-delà" dans la contemplation
désolée de son propre reflet dans l'eau.
Le
plus souvent, il n'est qu'une frêle silhouette anonyme qui
s'éloigne au long d'un interminable chemin de nulle part, pèlerin
qui va, sous l'immense ciel lourd d'un plateau, d'une meseta vide
et désolée; "Chemin du pèlerin" "Sur le chemin de
Saint-Jacques" "Errance" .
Cet
itinéraire, qui ne va nulle part, ne serait-il pas, le temps d'une
vie qui passe et s'achève un jour, à la "Porte de la Chapelle"
où s'esquisse une faux de feu dont on pressentirait le coup fatal?
Alors
n'y a t-il pas dans cette vision au moins une espérance,
L'espérance,cette "petite fille de rien du tout...cette petite
fille pourtant qui traversera les mondes" dont nous parle le
poème de Péguy dans "Le porche du mystère de la deuxième
vertu".
Elle
est peut-être dans la tendresse de ces deux roses dont les boutons
qui s'ouvrent se rapprochent ainsi que deux visages d'amants, "Quand
fleuriront les fleurs de Septembre" . Ne serait-elle pas, dans
l'élan d'un vol de ces deux oiseaux, l'un vers l'autre, "Bonheur
dans le ciel" ? ou mieux encore, dans la vie que l'on se
transmet et qui continue son cours, de génération en génération,
comme cela se passe selon le caprice de Zeus, dans le mythe de Léda
, " Léda et le cygne", sous le regard et par la volonté
des Dieux. Mais que cette espérance est évanescente (Amour en rêve
) et menacée de disparaître comme dans "Marie" !.
Dans
la "Divine Comédie", Dante inscrivait à la porte de son
enfer," Voi che entrate qui lasciate ogni speranza", -
vous qui entrez ici , quittez toute espérance -.Et pourtant , c'est
d'elle dont nous avons besoin , en ce monde d'ici, dans les mondes
d'après ou d'ailleurs , peut-être, d' "Elle, portant les
autres (vertus) , qui traversera les mondes révolus".
Jean
Tanguy.
Février
2015.
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